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RISBEC G; (23/9/2023)

 

LECTURE DE LA PERTE DE L’ÉVIDENCE NATURELLE [1]

Trois conférences sur la perte de l’évidence naturelle sont au programme cette année. Deux philosophes interviendront après mon intervention, ils aborderont bien entendu des questions qui sont hors de ma compétence et pourront sans doute répondre aux interrogations, aux polémiques que pose ce concept de perte de l’évidence naturelle. En ce qui me concerne, cela dégage mon horizon et je peux me permettre de rester dans mon rôle de psychiatre en m’efforçant de coller à la clinique. Mon objectif n’est pas de segmenter la notion de perte de l’évidence naturelle, d’en faire une entité autonome et cloisonnée mais de la relier à trois éléments : la clinique bien entendu, sans quoi cela serait vide de sens, mais aussi l’histoire de la psychiatrie et tout particulièrement de la psychiatrie phénoménologique, et enfin la phénoménologie en tant que mode de pensée philosophique. J’empièterai cependant un peu sur le territoire des philosophes en proposant une analyse phénoménologique de la Befindlichkeit dans la perte de l’évidence naturelle.

Introduction

Wolfgang Blankenburg (1928-2002) a étudié la philosophie auprès de Heidegger et Eugen Fink avant de devenir psychiatre. Il a débuté sa carrière à Heidelberg pour rejoindre successivement Freiburg, de nouveau Heidelberg, puis Bremen, pour finalement terminer son parcours à l’hôpital universitaire de Marburg.

En 1971 paraît Der Verlust der natürlichen Selbstverständlichkeit, son ouvrage majeur, traduit en 1991 par Jean-Michel Azorin et Yves Totoyan (traduction revue par Arthur Tatossian) sous le titre La perte de l’évidence naturelle, aux éditions PUF. Il s’appuie sur l’observation clinique d’une jeune femme, Anne, qui finira par se suicider. Ce livre, qui est actuellement indisponible, est l’un des grands classiques de la psychiatrie phénoménologique et sa notoriété a dépassé le cadre étroit de ces praticiens qui se réclament de la phénoménologie, malgré sa difficulté qui en rend la lecture ardue pour qui n’est pas familier des textes de phénoménologie.

1  ̶ Définition de la perte de l’évidence naturelle

Les difficultés commencent avec le titre lui-même. Tout d’abord, Blankenburg nous signale dans le cours de l’ouvrage que le terme perte (Verlust) n’est pas vraiment approprié dans la mesure où l’on ne peut pas perdre ce que l’on n’a qu’incomplètement acquis. Il ne s’agit pas d’une privation, mais d’un « éclatement de la dialectique entre évidence et non-évidence au profit de cette dernière. »[2]

Le second terme, évidence, (Selbstverständlichkeit, dont la racine est le verbe verstehen, comprendre), est moins contradictoire tout en étant beaucoup plus riche. L’évidence naturelle, (natürliche Selbstverständlichkeit) notons-le, est une expression utilisée par la patiente dont le parcours tragique est relaté dans cet ouvrage. Mais il y a également une légitimité phénoménologique à l’emploi de ce terme Selbstverständlichkeit, à la place de l’autre mot allemand signifiant évidence, qui est tout simplement Evidenz. Elle émane de Wilhelm Szilasi (1889-1966). Rappelons qu’il s’agit d’un philosophe d’origine hongroise, ayant émigré en Allemagne puis en Suisse avant un retour en Allemagne, qui a fréquenté à la fois Husserl, Heidegger et Binswanger. On sait l’importance de Szilasi pour Binswanger, puisqu’il est à l’origine de son fameux retour à Husserl des années soixante, et on sait également que Blankenburg, dans la lignée de Binswanger, a lu Szilasi puisqu’il le cite. Szilazi utilise indifféremment les deux termes de Evidenz et Selbsverständlichkeit, affirmant même qu’ils sont quasiment synonymes.[3] Je ne sais si Husserl use des deux termes par contre, n’étant pas lecteur de Husserl dans le texte original.

Blankenburg va développer sa définition du concept d'évidence naturelle tout au long de son ouvrage, notamment dans le chapitre VIII, chapitre central de l’ouvrage consacré à l’interprétation phénoménologique de la schizophrénie.

Je ne développerai pas l’argumentaire, ce que j’avais fait lors d’un précédent exposé en 2003.

Est évident ce qui se comprend de soi-même,[4] ce qui n'a pas besoin à proprement parler d'un fondement, d'un pourquoi. Ce sont les « axiomes du monde quotidien »[5], ce caractère basal[6] de l’ancrage du Dasein dans le monde quotidien qui sont le sol de ces évidences inapparentes dans leur banalité.[7] C’est la base de la définition. Mais il faut aller plus loin.

Au terme de ses analyses, Blankenburg reconnaît quatre caractéristiques à cette perte de l’évidence : elle est antéprédicative avec effondrement des cadres aprioriques, elle est sans appui possible sur un savoir-faire acquis dans le passé, elle entraîne une perte d’autonomie et elle ne s’inscrit pas dans le monde commun.

L’adjectif "naturel" est source d’erreurs possibles. Signalons en effet ce piège linguistique : en traduction française, l’adjectif « naturel » est la traduction de « natürlich » et non de « natural ». Un Allemand comprendra donc immédiatement le caractère en fait culturel, intersubjectif, de l’expression « natürliche Selbtverständlichkeit. »

A priori, naturel fait redondance avec la dernière partie de la définition d’évidence (constitution transcendantale de l’intersubjectivité). Mais Blankenburg y introduit une nuance : « La naturalité n’est pas identique à l’évidence – écrit-il. Elle détermine l’étalon de l’évidence et de la non-évidence. […] C’est la situation elle-même qui fait comprendre au sujet sain comment elle veut être ῞prise῞ »[8]. Nous sommes là dans le chapitre IX.

Pour gagner du temps, je raccourcis mon développement sur la question de la naturalité de l’expérience. L’évidence, c’est ce qui s’origine de soi-même, de mon propre corps, et renvoie à l’activité autonome, ce que Kimura Bin a rendu par le mot japonais mizukara.

La naturalité, c’est l’onozukara japonais qui signifie de soi-même, dans le sens d’un mouvement impersonnel spontané d’origine mondaine, qui renvoie à un mode d’être spontané indépendant du sujet et assimilable au concept européen de nature, mais aussi de norme culturelle

Blankenburg utilise les expressions transcendantal subjectif pour l’activité autonome et transcendantal objectif pour l’activité impersonnelle. Ces expressions, il les emprunte à Binswanger et Szilasi. Sont-elles utilisées par Husserl ou s’agit-il d’une interprétation de Szilasi, je ne suis pas compétent pour répondre.

Cette bipolarité entre transcendance objective et transcendance subjective, si l’on se place cette fois-ci en aval du texte, est directement empruntée à Binswanger, qu’il emprunte lui-même à Szilasi – je ne sais si cela fait partie du vocabulaire de Husserl.[9] Dans ce texte sur la distorsion, – inclus dans son ouvrage Trois formes manquées de la Présence humaine – que Blankenburg nomme évidence non-naturelle, c’est-à-dire non intersubjectivement constituée, qu’il est intéressant de lire en parallèle de La perte de l’évidence naturelle, surtout si l’on veut bien comprendre le chapitre IX. Binswanger note que la distorsion est une perte de la juste mesure et « un glissement du rapport [entre transcendance objective et transcendance subjective] en faveur de la transcendance subjective au détriment de la transcendance objective. »[10] Ainsi de cet instituteur – ce cas est rapporté par Minkowski, et repris par Binswanger comme exemple de la distorsion – qui s’interdisait de lire pour ne pas être influencé, tout entier porté par son souci d’être dans une totale transcendance subjective. Mais j’ai vu un patient qui ratait tous ses examens et formations parce que, incapable de penser par lui-même, il devait s’appuyer nécessairement sur des auteurs, ce qu’il ne pouvait faire dans le contexte d’examens ; il ne pouvait être que dans la transcendance objective, à l’image du maniéré qui cherche à se fondre dans l’anonymat du On. Bien que radicalement opposés, aux deux extrémités de la même chaîne, les deux patients font partie du même groupe de schizophrènes. C’est ça la schizophrénie.[11]

Il est très important de noter que la perte de l’évidence naturelle est à comprendre comme étant une « disproportion anthropologique entre évidence et non-évidence, de même que celle entre hauteur et largeur »[12]. Blankenburg se positionne donc sur le même plan que Binswanger, dans une continuité et une complémentarité. Il fait référence bien entendu à l’ouvrage Trois formes manquées de la Présence humaine dans lequel Binswanger développe ces trois disproportions anthropologiques que sont le maniérisme (Manierism), la présomption (Verstiegenheit) et la distorsion (Verschrobenheit). « Proportion et disproportion […] ne doivent pas apparaître comme des mots nouveaux à la place de norme et d’anomalie ».[13] « La proportion anthropologique signifie toujours relation dialectique, la disproportion une rupture de celle-ci et « perte de l’évidence naturelle » ne signifie alors rien d’autre que éclatement de la dialectique entre évidence et non-évidence du Dasein au profit de cette dernière».[14] L’existence même d’une disproportion n’est pas pathologique en soi. Seule la rupture de cette relation entre disproportion et proportion l’est.

Ceci fait de la perte de l’évidence naturelle un élément d’un ensemble beaucoup plus vaste fait de multiples disproportions anthropologiques. Mais c’est sans doute l’élément le plus central.

Pour prolonger cette définition, j’y ajouterais volontiers une notion postérieure à cet écrit de notre auteur, c’est la notion d’actions de base. Elle nous permettra de mieux articuler analyse phénoménologique et clinique, en quittant le cadre de la constitution transcendantale strict pour entrer dans le monde practico-pratique. C’est par l’intermédiaire de Paul Ricœur, dans son ouvrage Soi-même comme un autre, paru en 1990, que nous avons accès à cette définition des actions de base qu’il emprunte au philosophe américain Danto. « Sont des actions de base celles de nos actions qui relèvent du répertoire de ce que chacun sait comment faire, sans recourir à une action médiate d’ordre instrumental ou stratégique qu’il aurait fallu apprendre au préalable. En ce sens, le concept d’action de base désigne un fait primitif. On comprend pourquoi il en est ainsi : le concept primitif d’action de base tient dans l’ordre pratique la place qu’occupe l’évidence dans l’ordre cognitif. »[15] C’est cette notion d’actions de base qui permet à mon sens de relier le concept et la clinique.

2  ̶ Études cliniques.

2.1  ̶ Bref aperçu de la clinique de la schizophrénie :

Pour faire court, on va distinguer cinq formes cliniques de la schizophrénie :

La schizophrénie paranoïde, la plus fréquente, caractérisée par des signes dits productifs, délires et hallucinations, troubles du comportement, du cours de la pensée, etc…

La schizophrénie hébéphrénique, l’ancienne démence précoce, sans signes productifs mais avec signes dits déficitaires, retrait affectif, indifférence apragmatisme, etc… signant une désorganisation de la pensée et un affaiblissement général.

La schizophrénie catatonique, avec signes psycho-moteurs,

La schizophrénie hébéphréno-catatonique.

Et la schizophrénie simple, pauci-symptomatique, rarement rencontrée en hôpital, plus fréquemment vue en consultation externe ou par les psychiatres libéraux, voire échappant souvent à toute intervention psychiatrique grâce à un aménagement relativement correct. C’est ce diagnostic que Blankenburg a attribué à sa patiente.

Cette description princeps de la schizophrénie qui date de Bleuler (1911) et qui sert de référence à Blankenburg a été remise en question par de nombreux auteurs essentiellement anglo-saxons, à partir des années soixante-dix. Prenons comme exemple le modèle de Crow, qui distingue deux types, le type 1, caractérisé par des signes positifs (délire, hallucinations), et le type 2, avec signes négatifs déficitaires (apragmatisme, retrait, etc…), le type 1 répondant mieux aux traitements que le type 2, de moins bon pronostic. Anne serait classée dans le type 2.

Intéressons-nous brièvement à trois notions :

2.2  ̶ Formes réflexive et non-réflexive de la schizophrénie.

Dans le chapitre 3 d’un article de l’EMC datant de 1955, Discordance dans la sphère du comportement, Henri Ey écrit : « Cette incapacité d’aller au bout, d’agir simplement, d’aller dans une direction, de choisir [donc, cette perte de l’évidence naturelle pourrions-nous dire] se traduit par une sorte d’ataraxie akinétique si le sujet se résigne à ne pas vouloir [choisir par exemple] et par la perplexité s’il souffre de ne pas pouvoir se décider. »[16] C’est la première occurrence de cette notion de décision. Ataraxie akinétique est une formule un peu bizarre, avec deux préfixes privatifs, absence de souffrance psychique et trouble du mouvement, qui renvoie à la forme hébéphréno-catatonique non réflexive.

Et c’est précisément cette opposition entre ces deux types de schizophrénie, forme réflexive avec perplexité et forme non réflexive avec « gaîté niaise » pour reprendre sa formule, que va disséquer Blankenburg en fin d’ouvrage, dans le chapitre IX, nous y reviendrons. Mais je comparerai pour ma part deux formes différentes de schizophrénie réflexive.

2.3 ̶ La perplexité (Ratlosigkeit)

Cette perplexité, terme très largement utilisé par les cliniciens à propos de la schizophrénie auto-réflexive, cette souffrance, est un élément clinique majeur chez Anne. Perplexe vient de perplexus, enchevêtré. Est perplexe celui dont les pensées s’enchevêtrent et s’embarrassent. En soi, c’est insuffisant pour justifier le suicide. Il faut que cette perplexité s’accompagne d’une grande souffrance, d’un vécu d’impuissance et de désespoir profond.

Sur cette question du désespoir, tournons-nous vers Tellenbach. Après avoir noté la proximité étymologique (en allemand) entre doute (Zweifel) et désespoir (Verzweiflung), vocables dans lesquels on trouve le chiffre deux (zwei), il précise : « Nous appelons désespoir le fait de rester enfermé dans le doute. Le désespoir n’est pas l’absence d’espoir (Hoffnung). Le désespoir n’est pas quelque chose de définitif, n’est pas le fait d’avoir atteint une limite, mais un va-et-vient, une alternance, de sorte qu’on ne peut parvenir à une décision définitive. […] Cet aspect double peut disparaître avec une décision ; car l’essence de la décision est de sortir du désespoir. »[17] Deuxième occurrence.

Perplexité et désespoir sont donc très proches et tout laisse à penser que Anne est plus désespérée que perplexe, n’étant pas en mesure de prendre une décision, de choisir l’une ou l’autre alternative, ce qui ne signifie pas qu’elle soit mélancolique pour autant. C’est l’analyse de la situation, du vécu de situation, ou sentiment de situation, et de la typologie qui révèle les différences entre ces deux pathologies psychotiques. À l’inverse, on peut comprendre les formes manquées de la Présence, la Verschrobenheit (distorsion) en particulier, comme signant la capacité de ce type de schizophrènes à pouvoir sortir du désespoir par une prise de décision[18] fût-elle radicale, ce qui entraîne donc une rigidification existentielle. Quand l’une est dans la perte de l’évidence naturelle, l’autre est dans une évidence tordue. Le pouvoir décisionnaire marque la limite entre Verzweiflung et forme manquée, le passage de l’une à l’autre.

2.4  ̶ L’ambivalence.

Ce chiffre deux nous amène à l’ambivalence (Ambivalenz) introduit par Bleuler. Blankenburg ne fait aucune référence à l’ambivalence. Ce terme traduit la coexistence de deux tendances contraires simultanées, amour et haine par exemple. Non pathologique en soi, elle est décrite par Bleuler comme étant un symptôme fondamental touchant les fonctions simples[19] et par Gaetano Benedetti comme « une impossibilité tourmentée à se décider ».[20] Troisième occurrence. Le schizophrène en quelque sorte ne sait pas comment faire, il est perdu, face à deux propositions contradictoires. On la rencontre sur le plan intellectuel, affectif et volitionnel. Cette dernière a sa traduction sur le plan psycho-moteur. Par exemple, porter à sa bouche puis retirer de nombreuses fois son verre d’eau ou sa nourriture (exemple pris par Bleuler). On parle alors d’ambitendance (Ambitendenz). L’ambivalence est à mettre sur le même plan, psychique, que la perte de l’évidence naturelle, quand l’ambitendance est trouble des actions de base et de tout ce qui concerne la mise en acte, le se-mouvoir. On est en droit de penser que ce symptôme pourrait résulter de cette perte de la relation dialectique entre évidence et non évidence, l’ambitendance étant la traduction, sur un plan volitionnel et psycho-moteur, de cette perplexité.

Nous avons donc un noyau de signes intriqués, très proches les uns des autres, perte de l’évidence naturelle, ambivalence, perplexité et désespoir.

2.5 ̶   Le cas Anne Rau.

Mais retraçons brièvement le trajet de cette jeune patiente, Anne Rau.

Elle est hospitalisée en octobre 1964, à l’âge de 20 ans, après une tentative de suicide qui l’a conduite en réanimation (coma). Pendant toute la durée de sa prise en charge, la menace de nouvelles tentatives de suicide manifestement hante l’équipe soignante. Après quelques rémissions passagères et incomplètes, une sortie hors de l’institution, elle se suicidera au début de l’année 1968. Tout a été entrepris au niveau thérapeutique pour essayer d’enrayer ce pronostic que l’on pressentait comme mauvais. Tous les moyens de l’époque ont été mis en œuvre. Alors gardons-nous bien de tout anachronisme en matière de jugement éthique. Nous sommes 60 ans en arrière, les neuroleptiques et antidépresseurs n’ont qu’une dizaine d’année, ils sont peu nombreux. Si les moyens utilisés à cette époque nous paraissent éthiquement discutables aujourd’hui pour certains d’entre eux, ce n’était pas le cas à cette époque. En effet, outre des psychotropes, on a aussi utilisé la sismothérapie (électrochocs), l’insulinothérapie (mises sous coma artificiel avec de l’insuline), la sociothérapie, la psychothérapie (inopérante), l’hôpital de jour, la réinsertion sociale. Seule la thérapie familiale, impossible à mettre en place, n’a pas été tentée. Retenons donc ceci : l’équipe s’est battue pour lutter contre une échéance qu’elle redoutait.

Il se trouve que, hasard du calendrier, cette année nous évoquerons le suicide de deux célèbres patientes, toutes deux classées dans le groupe des schizophrénies simples. La seconde, c’est Ellen West, et vous verrez que ce n’est pas du tout la même histoire.

Comme toujours dans les psychoses schizophréniques, la biographie de cette jeune femme confirme l’absence de genèse événementielle. L’histoire est plutôt banale : c’est la seconde d’une fratrie de trois, elle fait des études en demi-teinte, son parcours professionnel par contre est assez chaotique d’emblée. On ne lui connaît pas d’aventures marquantes, il n’y a pas de traumatismes majeurs. Les parents sont en cours de divorce, la mésentente est ancienne. Le père est violent et disqualifiant à son égard, elle subit passivement ces violences, la mère est difficile à comprendre mais, nous précise Blankenburg, on ne peut pas parler non plus d’un couple parental profondément dysfonctionnel. On note quelques incohérences dans l’anamnèse concernant le caractère, tantôt décrite comme une enfant sage, tantôt méchante et difficile. Le tableau clinique est marqué par une triade comprenant des troubles de la pensée, une rupture de l’efficience et une perte de l’évidence naturelle, selon ses propres termes.[21]

Le fait le plus important à mon avis, c’est ce parcours professionnel chaotique : elle a travaillé dans une usine chimique pendant quelques semaines puis comme stagiaire dans un hôpital mais à chaque fois elle a dû arrêter, disant que « humainement elle n’y arrivait pas ». Elle a fait sa tentative de suicide en 1964 ayant motivé son admission à l’hôpital à la veille d’intégrer un nouvel emploi qui semblait lui plaire et, en 1968, elle s’est suicidée juste avant d’intégrer un emploi. On peut sans aucun doute possible y voir là cette conscience, cette perplexité douloureuse de la perte de l’évidence naturelle, de cette difficulté à pouvoir poser des actes, effectuer les actions de base dans le cadre d’une activité professionnelle. De plus, l’échec de la naturalité de l’évidence est majoré par la situation professionnelle nécessairement sociale, donc confrontant la personne à cette intersubjectivité défaillante constitutive de cette perte de l’évidence naturelle comme nous l’avons vu. Ce qui pose le problème de la réinsertion sociale : faut-il vouloir à tout prix réinsérer les malades dans le monde du travail ou ne vaut-il pas mieux les mettre en invalidité professionnelle ? Ce cas clinique légitime en quelque sorte, s’il en était besoin, le fait que nous nous posons tous cette question en tant que médecins, thérapeutes.

De façon répétitive et stéréotypée, Anne va égrener ses litanies concernant cette perte de l’évidence naturelle, cette impression qu’elle n’a pas les bases pour comprendre comment il convient d’agir. Elle est dans une auto-réflexion, une perplexité douloureuse. Cette incompréhension revient en permanence. Ainsi de faire la vaisselle : « Je ne le fais pas avec évidence ; ça me déconcerte en quelque sorte. Il faut que je m’y force. Intérieurement ça me détruit. Ça me donne trop de peine. C’est pourquoi je ne lave plus la vaisselle. C’est ainsi pour chaque travail. »[22] On comprend mieux les négligences de certains schizophrènes, quand leur hygiène corporelle ou la tenue de leur appartement laissent à désirer. Mais on notera la différence qui existe entre faire la vaisselle seule chez soi et être en activité professionnelle en équipe. Dans un cas, vous pouvez mettre entre parenthèse l’intersubjectivité, n’être que dans la première des quatre caractéristiques de la perte de l’évidence naturelle, dans l’autre vous y rajoutez la quatrième caractéristique. C’est donc un facteur aggravant.

Pour faire contrepoids à ce vécu douloureux, pour faire contraste, je reprends un extrait d’une observation d’un cas clinique que j’avais exposé ici même en 2015.

2.6 – Le cas Bruno

Bruno rate toutes ses actions, qui se terminent en queue de poisson, mais il n’y a aucune perplexité douloureuse. Tout au contraire, il évoque cela avec un humour permanent, constant, dans une auto-dérision pleine de bon sens. Il se considère comme un ancien modèle d’ordinateur. « Je suis d’une ancienne série qu’on ne fait plus », dit-il. Il sent que ses anciennes bases ne fonctionnent pas. Plus précisément, il ne demande qu’à les faire fonctionner mais ne sait pas comment faire pour les faire fonctionner. Par contre, il a l’impression que des gens se servent de ses bases, que l’on recrée quelque chose à partir de ses propres bases perdues. Il essaye d’enclencher ses bases mais quelqu’un se substitue à soi. En clinique, on connaît le vol des actes, le vol des pensées, et on peut en voir ici la genèse. On pourrait parler ici de vol des synthèses passives. Nous ne sommes plus dans la perte de l’évidence naturelle, mais dans le vol de l’évidence naturelle. Il évoquera par la suite le rôle de sa mère, une trop bonne mère au sens de Winnicott, anticipant ses intentions et ses actes et ne lui donnant pas l’opportunité de générer par lui-même ses actions de base. On peut se poser la question de savoir si l’entrave à l’autonomie ne précède pas la perte de l’évidence naturelle. Anne, par contre, dans sa perte d’autonomie, cherche à s’appuyer sur sa mère mais ne rencontre que défaut d’autonomie et d’individuation chez celle-ci. Là encore, deux extrêmes se dessinent : un excès et un défaut dans la forme de Présence maternelle. Une mère qui empêche l’autonomisation par anticipation des mises en acte personnelles, une mère qui ne montre pas la voie de l’autonomisation, Anne ne rencontrant que vide. Nous sommes là dans la troisième caractéristique de la perte de l’évidence naturelle.

3 – Analyse phénoménologique de la Befindlichkeit

Attention, nous ne pouvons pas nous référer, pour analyser ces cas, à ce qu’écrit Blankenburg dans le chapitre IX.[23] Il oppose le cas Anne, avec sa perplexité douloureuse, aux schizophrènes hébéphréniques caractérisés par une « gaîté niaise », une indifférence, une absence d’auto-réflexion[24] et « un style propre de Dasein – celui d’une indifférence qui se situe au-delà [des moyens de défense]. »[25] Or, Bruno n’est pas hébéphrène, il n’est pas dans une euphorie niaise mais, à l’instar de Anne, il est dans l’auto-réflexion. Il porte un regard ironique sur soi et ses troubles qu’il comprend et analyse fort bien. Ce qui diffère, c’est le sentiment de situation (Befindlichkeit). Ainsi, auto-dérision et ironie pour l’un, sentiment d’impuissance et désespoir pour l’autre. Quand l’une y voit une tragédie, c’est une comédie burlesque pour l’autre. Encore une fois, deux schizophrènes se situent à deux extrémités opposées d’une problématique. Autant dire que, en raison des multiples disproportions anthropologiques, des personnalisations constitutives de cette entité nosographique, (car dans la schizophrénie en tant que pathologie chronique, ce qui est important, c’est le réaménagement de la faillite de la constitution transcendantale par la personne)[26], il est parfaitement illusoire de penser la prise en charge des schizophrènes en s’appuyant sur une psychiatrie construite sur des protocoles.

Mais il y a pourtant un point commun entre Anne et Bruno, c’est la fixation définitive, le blocage, la rigidification de ce sentiment de situation qui est et demeure invariant quoiqu’il advienne. Ainsi, Bruno m’annoncera que son père est en phase terminale avec sa bonne humeur coutumière, un large sourire agrémenté d’une plaisanterie à l’humour noir.

Alors comment expliquer cette discordance entre l’expression enjouée et la gravité de la situation ? Précisément à partir de cette discordance entre sentiment de situation et situation présente. Le sentiment de situation est demeuré immuable, définitivement fixé sur un mode unique dans l’histoire de ces patients, que ce soit chez Anne ou Bruno. Il est en arrière-fond, comme un « toujours-déjà-la » invariant, en lieu et place des cadres aprioriques, et il n’y a plus d’adaptation aux situations vécues dans le présent, il ne s’actualise plus. Il est en mode autonome, désarrimé du cours de la vie. C’est ce qu’avait bien vu Binswanger dans son étude sur les êtres gauchis.[27] Il n’y a pas d’ouverture à la situation. Le sentiment de situation ne s’inscrit plus dans le flux temporel, il est figé dans une temporalité vide, désynchronisé du comprendre qui doit lire la situation présente. C’est une véritable désynchronisation existentiale.

J’utilise ce terme de discordance qu’il me faut expliquer. C’est le psychiatre français Philippe Chaslin qui l’a utilisé pour décrire ce qu’il a nommé les folies discordantes, qui sont peu ou prou (sans en être la copie conforme) l’équivalent de la schizophrénie. Une version française en quelque sorte. C’est un contemporain de Bleuler. 1911 pour la monographie de Bleuler, 1912 pour le traité de Chaslin. Bleuler dira plus tard que s’il avait eu connaissance de ce terme, il aurait pu l’adopter. La discordance est l’équivalent de la dysharmonie intrapsychique de Urstein (1909) ou de l’ataxie intrapsychique de Stransky (1904) et me paraît mieux convenir à l’analyse phénoménologique de la disproportion anthropologique. Le terme allemand de Spaltung (qui n’est pas un strict équivalent de la discordance), traduit à l’heure actuelle par scission, me paraît trop abrupt, trop tranchant et ne pas refléter cette disproportion que l’on peut associer plus à un glissement, pour reprendre le mot de Binswanger,[28] qu’à une rupture.[29]

À cette rigidification du sentiment de situation, on peut y accoler le mot chronicité. Car on comprend en effet que l’on ait pu classer la schizophrénie en tant que psychose chronique, au vu de ces patients dont au moins un existential est non mobile, fixé. C’est parce qu’il y a stase d’un existential qu’il y a chronicité. La chronicité a son origine dans la désynchronisation existentiale. Ajoutons une chose : comme le remarquait Chaslin, la discordance ne se rencontre que dans la chronicisation.[30]

Mais chronicité est un mot de psychiatre utilisé à des fins de classification (chronique versus aigu) auquel on peut substituer, sur les conseils de Tatossian, le mot durabilité. Dès lors, on s’attache aux cas particuliers et on comprend alors pourquoi Anne, dont la Befindlichkeit opère aussi en mode autonome, qui est dans un « comprendre non disposé »,[31] un comprendre sans sentiment de situation actualisé, resté en arrière de soi, s’est suicidée : depuis l’été 1964, quelques mois avant son hospitalisation, jusqu’au début 1968, date de son suicide, cette possibilité de passage à l’acte suicidaire en tant que décision pour mettre fin à l’infinitude de cette Verzweiflung ne l’a plus jamais quittée.

Ajoutons que le comprendre (Verstehen), pur constat de son impuissance et de son incompréhension, car l’existential comprendre (Verstehen) n’est pas l’équivalent de l’incompréhension dont fait part Anne devant cette perte de l’évidence naturelle, mais est la saisie pas forcément mise en mots de cette incompréhension, une compréhension de son incompréhension en quelque sorte, n’ouvre pas sur l’avenir, du fait même de cette impuissance à entrer dans les actions de base. Mais il préserve son autonomie, reste perplexité sans devenir délire. Je vous renvoie à l’analyse faite par Blankenburg.[32]

Pourquoi Anne s’est-elle suicidée ? Peu de commentateurs du texte de W. Blankenburg se posent cette question, souvent reléguée au second plan voire ignorée.[33] Blankenburg en donne une explication phénoménologique lorsqu’il développe la notion de la temporalité : « Il manque une délimitation dans le temps. […] "Trouver les limites, c’est ça devenir adulte" dit Anne. Trouver les limites dans le temporel, cela veut dire en même temps : trouver sa place dans la finitude. Cela est refusé à des patients comme Anne. Leurs impulsions suicidaires peuvent être comprises non seulement à partir d’un excès de souffrance, mais aussi, comme une volonté violente d’imposer la finitude du Dasein. »[34] La référence saute aux yeux en ce qui concerne le suicide. C’est un retour à Heidegger. Il nous semble évident qu’il serait très difficile d’expliquer, de comprendre le suicide si l’on s’en tenait à une phénoménologie transcendante husserlienne. Notre analyse du passage à l’acte suicidaire pour mettre fin à la Verzweiflung va dans le même sens.

Or, s’il est une leçon pratique essentielle à retenir de cette perte de l’évidence naturelle pour tout thérapeute, elle concerne la prévention du suicide. C’est bien vers cette question qu’il faut diriger notre regard tant Blankenburg nous offre par ailleurs de précieuses indications pour cette prévention chez les schizophrènes déficitaires. Notre attention doit se porter sur l’agir, sur la mise en mouvement qui peut se transformer en passage à l’acte suicidaire si l’on néglige ces moments sensibles, ou a contrario se révéler thérapeutique si l’on sait mobiliser ces patients en vue de leur autonomisation, de leur mise en mouvement qui s’origine d’eux-mêmes dans un cadre intersubjectif. D’ailleurs Blankenburg ne s’y trompera pas, il y fera référence dans un texte ultérieur[35] où il préconise avec la plus extrême prudence, en hôpital, d’utiliser la fonction désinhibitrice des antidépresseurs IMAO (nous sommes en 1997, ce n’est plus d’actualité d’utiliser ces molécules, mais les antipsychotiques modernes ont ce pouvoir de fluidifier le mouvement de façon plus sécurisante).[36] Nous sommes sensibles, nous psychiatres, à cette fonction désinhibitrice de certaines molécules qui peuvent être bénéfiques mais favoriser les passages à l’acte. Nous retrouvons là cette question du pharmakon, à la fois médicament et poison. Mais nous pouvons l’élargir à toute injonction thérapeutique non pharmacologique en psychiatrie. Inscrire ou ne pas inscrire un patient dans un protocole thérapeutique aussi louable et pertinent soit-il en règle générale peut être une question de vie ou de mort. Il faut toujours individualiser le soin.

Conclusion

Cette notion de perte de l’évidence naturelle que l’on rencontre dans le monde de la schizophrénie, qui est un mode d’être du Dasein parmi d’autres, est de nature, oserais-je dire, à interroger les philosophes. Cette discordance des existentiaux Verstehen et Befindlichkeit que l’on a pu examiner, cette désynchronisation, pose la question de l’évidence de leur co-origine que tout philosophe fin connaisseur de Sein und Zeit accepte sans remise en question. En effet, si l’un s’origine dans le présent, l’autre s’origine dans un passé figé. Mais en fait, qu’est-ce qui fait tenir ensemble la temporalité et ces existentiaux ? Telle est la question.

Terminons sur une note impertinente : Philippe Chaslin, à propos de la folie discordante, de la multitude des symptômes et de leur incohérence, parlait d’une « salade de symptômes ». Sommes-nous en droit, en phénoménologie, de parler d’une salade existentiale ?



Une version un peu plus étoffée paraîtra dans le prochain numéro de L’art du Comprendre

Blankenburg W. La perte de l’évidence naturelle, trad. Azorin J.-M. & Totoyan Y., revue par Tatossian A. Paris, PUF, 1991, p. 101

Cf Szilasi W., Introduction à la phénoménologie d’Edmond Husserl, trad. Fournier A. et Dastur F., Argenteuil, Le Cercle Herméneutique, 2011, p. 65 (parution du texte allemand en 1959) : « Toutes les perceptions dans lesquelles les choses (Sachen) et les états-de-chose concernés sont présents en tant que tels sont évidents. Le terme (evident) peut par conséquent être traduit au mieux par « compréhensible par soi-même » (selbsverständlich). Ce qui est évident (das Evidente) est lui-même, en tant que ce qui est compréhensible (das Verständliche), indubitablement existant. »

La perte de l’évidence naturelle, op.cit. p. 122

La perte de l’évidence naturelle, op.cit. p. 111

La perte de l’évidence naturelle, op.cit. p.106

La perte de l’évidence naturelle, op.cit. p.111

La perte de l’évidence naturelle, op.cit. p.185. Cette phrase est importante. Elle introduit la situation qu’elle place au cœur de processus. Et en filigrane se dessine donc le sentiment de situation, soit l’existential Befindlichkeit, et le comprendre (Verstehen) qui, par le prisme du sentiment de situation, fera une lecture de la situation.Je fais une infidélité aux traducteurs qui reprennent la traduction de François Vézin du terme Befindlichkeit par ce néologisme disposibilité, pour choisir celle de Rudolf Boehm et Alphonse de Waelhens, non par compétence linguistique, bien que je fasse mienne cette note de Françoise Dastur signalant que "sich befinden a un double sens, se trouver (en tel ou tel lieu, [et par extension j’ajouterais en telle et telle situation]) et se sentir (bien ou mal)," (in DASTUR F. : "Binswanger, Tellenbach : deux conceptions différentes de la mélancolie", in Mélancolie. Phénoménologie, psychopathologie, psychanalyse, Cabestan P. Chamond J & Ecole Française de Daseinsanalyse (dir), Argenteuil, Le Cercle Herméneutique, 2015, note 42 p.132) mais simplement parce que cela permet de mieux saisir cette discordance entre cet existential qu’est la Befindlichkeit (sentiment de situation) et la situation vécue, ce désarrimage comme le dira Blankenburg. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Notons que Selon Tellenbach, l’Être-au-monde "situe" en permanence et c’est en quelque sorte le ratage de cette capacité à pouvoir "situer" qui enclenche la psychose.

À propos de cette transcendance subjective/objective, nous pouvons supposer que Binswanger, s’il était resté dans une phénoménologie purement descriptive, aurait utilisé la notion héraclitéenne de idios kosmos (monde propre) et koïnos kosmos (monde commun) si souvent employée par lui. Il semble qu’il esquisse ici une phénoménologie transcendantale grâce à la lecture de Szilasi, préfigurant ainsi son retour à Husserl des années soixante. L’article sur la distorsion a été prépublié en revue entre 1952 et 1954.

Trois formes manquées de la Présence, Argenteuil, Le Cercle Herméneutique, 2002, p.96

Nous pouvons également analyser ces deux cas de figure comme exemples frappants d’une disproportion anthropologique entre l’authenticité (Eigentlichkeit) et l’inauthenticité (Uneigentlichkeit) ou entre le être-soi-même (Selbstsein) et le être-on ou on-même (Man-selbst) « caractérisation de l’ipséité en tant que manière d’être ou d’exister, […] l’être-soi-même et le ne-pas-être-soi-même [étant] le symétrique l’une de l’autre. » C. Romano, L’identité humaine en dialogue, Paris, Seuil, 2022, p. 230. Lire à ce sujet les pages 228 à 230.

La perte de l’évidence naturelle, op.cit. p. 100

id

La perte de l’évidence naturelle, op.cit. p. 101

Ricœur P. Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 126

Ey H. Schizophrénies. Description clinique de la forme typique. EMC-Psychiatrie, 2-1955, article 37282 A10 (article retiré)), p. 12. Cet article est repris dans l’ouvrage suivant : Ey H. Schizophrénie, études cliniques et psychopathologiques, Le Plessis Robinson, Les empêcheurs de penser en rond, 1996

Tellenbach H., La mélancolie, trad. Claude L. & al., Paris, PUF, 1979, pp.234-235

La décision en question n’est pas obligatoirement à considérer en tant que jugement volontaire et conscient mais avant tout en tant que capacité inhérente à la constitution caractérielle de l’individu, donc antéprédicative.

Cf Bleuler E. : Dementia Præcox ou groupe des schizophrénies, trad. Viallard A., Paris/Clichy, E. P. E. L./G. R. E. C., 1993, p. 100 et suiv.

Benedetti G. : La mort dans l’âme. Psychothérapie et schizophrénie : existence et transfert, trad. Faugeras P. en collaboration avec Faugeras D., Paris, Erès, 1995, p. 116

La perte de l’évidence naturelle, op.cit. p. 88

La perte de l’évidence naturelle, op.cit. p. 79

La perte de l’évidence naturelle, op. cit., p. 188 et suiv.

Cf infra l’écrit de Henri Ey

La perte de l’évidence naturelle, op. cit., p. 189

Cf Wyrsch J., La personne du schizophrène, trad. Verdoux J., Paris, PUF, 1955. Ce réaménagement n’existe pas chez Anne. D’autres schizophrènes sont en revanche dans une possibilité de décider, de choisir entre les alternatives, ce qui donne les formes manquées de la Présence.

cf par exemple la page 86 dans Trois formes manquées de la Présence, op. cit. : « Au lieu de s’emparer de chaque situation dans la résolution, […] la Présence se perd dans le temps « vide » et l’atemporalité de règles, de principes, d’idées ou d’idéaux « impersonnels » et rigides, », mais nous pourrions faire référence à de nombreux passages dans ce texte.

Trois formes manquées de la Présence, Argenteuil, Le Cercle Herméneutique, 2002, p.96, citation déjà utilisée plus haut.

Notons que le terme discordance, dans l’esprit de Chaslin qui ne voulait d’aucune théorie, est donc à l’origine un terme clinique. Il a progressivement évolué jusqu’à Henri Ey qui en a fait une notion psychopathologique avant de quasiment disparaître du vocabulaire psychiatrique. cf Lantéri-Laraa G. & Gros M., Essai sur la discordance dans la psychiatrie contemporaine, Paris, E. P. E. L., pp. 88 à 94, et notamment la p.92 : « Le mot « discordance », emprunt reconnu à Ph. Chaslin, ne servira plus à dénommer un signe, voire un syndrome, mais à intituler le groupement des signes négatifs qui résultent du trouble schizophrénique lui-même ; il s’agit donc, à la fois, d’une rubrique et d’un terme propre à regrouper toute une partie de la symptomatologie en cause, à côté de ce qui revient au délire et à l’autisme. « Discordance » se trouve alors employé pour réunir des traits sémiologiques, tels que l’ambivalence, la bizarrerie, l’impénétrabilité et le détachement, dont la liste paraîtrait disparate sans ce vocable unificateur. Il s’agit ainsi du désordre discordant de la vie psychique dissociée ; Spaltung équivaut à dislocution, dissociation et discordance. »

cf Lantéri-Laraa G. & Gros M., Essai sur la discordance dans la psychiatrie contemporaine, op. cit., p.72

La perte de l’évidence naturelle, op. cit., p. 191

La perte de l’évidence naturelle, op. cit., p. 191

Signalons cependant l’article de Laurent van Eynde (VAN EYNDE L. : "Finitude et évidence dans la phénoménologie clinique de Wolfgang Blankenbourg", L'Art du Comprendre, N° 9, janvier 2000), mais qui peine à convaincre car il développe plus le pourquoi de la schizophrénie que le pourquoi du suicide, ne s’appuyant que sur cette question de la finitude exposée par Blankenburg pour comprendre le suicide.

La perte de l’évidence naturelle, op. cit., p. 142

BLANKENBURG W. : "Rapport non délirant à la réalité et délire", Evol. Psychiatr., 62 (2), 1997, pp. 285-297 (en particulier p. 295)

En l’an 2000, j’avais proposé une étude phénoménologique d’une prescription d’antipsychotiques chez un schizophrène qui allait dans ce sens. Risbec G. Ėtude phénoménologique d’une prescription d’antipsychotique chez un schizophrène, in Formes de la présence dans les expériences pathologiques, Guy Risbec et l’Ėcole française de Daseinsanalyse (dir), Argenteuil, Le Cercle Herméneutique, 2008. J’y écrivais (p. 127) : « Le se-mouvoir est donc intrinsèquement lié à aller-de-soi, à l’évidence naturelle, peut-être se confondent-ils même si, d’un point de vue étymologique, nous considérons la formulation « aller-de-soi » comme étant l’expression d’un auto-mouvement [de soi vers le monde]. Plus l’évidence naturelle est entravée, moins le mouvement est fluide. »