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DASTUR F. (18/5/2019)

Journée annuelle de Daseinsanalyse

18 mai 2019

Françoise Dastur

« La psychothérapie occidentale à l'épreuve de l'Orient.

Medard Boss en Inde »

Nous avons, Philippe Cabestan et moi, consacré un long chapitre à la vie et à l’œuvre de Medard Boss dans Daseinsanalyse. Phénoménologie et psychiatrie, le livre que nous avons publié en 2011, car il est demeuré et demeure toujours peu connu des phénoménologues et des psychiatres ouverts à la phénoménologie, alors qu’il constitue une figure majeure de la Daseinsanalyse égale en importance à celle de Ludwig Binswanger.

Il faut donc commencer par rappeler quelques éléments de la biographie de Medard Boss. Né en 1903, il a fait ses études de médecine à Vienne où il a commencé en 1925 une analyse sous la direction de Freud, analyse qu’il achèvera après son retour à Zürich avec le psychanalyste Hans Eschenburg. Il a poursuivi sa formation de psychiatre au célèbre hôpital Burghölzli sous la direction de Eugen Bleuler, le célèbre psychiatre auquel on doit le terme de « schizophrénie ».

Il a ensuite achevé sa formation de psychanalyste à l’institut de psychanalyse de Berlin, sous la direction de Karen Horney, qui émigrera aux USA où elle publiera en 1942 un livre bien connu, L’autoanalyse. A Berlin, Boss est amené à travailler entre autres avec Wilhelm Reich, le fameux psychosociologue marxiste, qui émigrera lui aussi aux USA, où, considéré comme un charlatan, il finira sa vie en prison, et Kurt Goldstein, l’auteur de La structure de l’organisme, publié en 1934, juste avant son départ pour les USA, livre que fera connaître en France Merleau-Ponty.

Medard Boss part ensuite pour Londres, où il travailla à l’Hôpital national des maladies nerveuses avec Ernest Jones, psychiatre qui a créé la société londonienne de psychanalyse et est l’auteur en 1953-55 d’une biographie de Freud qui fera longtemps autorité. A son retour à Zürich, Carl Gustav Jung l’invite à se joindre à son équipe de psychanalystes, une expérience qui durera dix ans, de 1938 à 1948, période pendant laquelle il rencontrera Ludwig Binswanger qui éveillera son intérêt pour la Daseinsanalyse. Il faut en effet rappeler que Binswanger n’a commencé à utiliser le terme de Daseinsanalyse à la place de celui d’ « anthropologie phénoménologique » qu’après la parution en 1942 de son livre majeur intitulé Grundformen und Erkenntnis menschlichen Daseins (« Formes fondamentales et connaissance de l'existence humaine).

Boss devient professeur de psychothérapie à l’Université de Zürich à partir de 1953 et il a à ce titre dirigé la formation des psychothérapeutes au Burghölzli. Il fut aussi de 1954 à 1970 le président de la Société internationale de psychothérapie médicale. Il a été invité plusieurs fois aux USA, dont en 1963 pour un cours de six mois à l’université de Harvard (Boston) et il a reçu en 1971 le prix « Great Therapists » de la prestigieuse American Psychological Association, sise dans le Massachussets (University Clark) qui fut à l’origine de l’introduction de la psychanalyse aux USA, Freud et Jung y ayant été invités à faire des conférences en 1909. Il fut également professeur invité au Brésil, en Argentine, au Canada, en Finlande, en Norvège, au Japon, il se rend aussi en France pour participer à deux colloques, et, comme nous allons le voir, en Inde, à Ceylan et en Indonésie.

On sait, car Boss l’a lui-même raconté dans les Zollikoner Seminare, publiés en 1987, que c’est pendant la deuxième guerre mondiale, pendant qu’il servait plusieurs mois par an dans l’armée suisse, qu’il a commencé à lire sérieusement Heidegger qu’il contacta à la fin de la guerre, ce que fut le début d’un échange qui dura 25 ans et ne s’interrompit qu’en 1971, soit 5 ans avant la mort de Heidegger. C’est à ce moment qu’il fonde à Zürich, en 1971, l’Institut de psychothérapie et de psychosomatique du point de vue de l’analytique du Dasein (Daseinsanalytisches Institut für Psychotherapie und Psychosomatik). Boss mourut lui-même peu de temps après la publication des Zollikoner Seminare, en 1990, lui aussi, comme Heidegger, à l’âge de 87 ans.

On a donc affaire avec Medard Boss à une personnalité bien différente de celle de Ludwig Binswanger qui, dès 1911, à l’âge de 30 ans, et après n’avoir quitté Zurich que pour quelques rencontres à Vienne avec Freud et un passage à Iéna dans la clinique de son oncle, Otto Binswanger, psychiatre qui soigna Nietzsche lorsque celui tomba dans la folie en 1889, prit à la mort de son père la direction de la clinique privée que ce dernier avait fondé à Kreuzlingen près de Constance et demeura son directeur jusqu’en 1956. Ludwig Binswanger, dont on sait qu’il lisait Homère dans le texte, est un homme pourvu d’une très vaste culture livresque, mais celle-ci se limite au seul héritage européen.

Avant la publication des fameux Zollikoner Seminare en 1987, qui contiennent non seulement le texte des séminaires faits par Heidegger dans la maison de Boss à Zollikon, près de Zurich, mais aussi celui des entretiens qu’il eut avec lui et des lettres qu’ils échangèrent, il avait déjà publié plus d’une centaine d’articles et une douzaine de livres dont, en 1971, son livre majeur, Grundriss der Medizin - Ansätze zu einer phänomenologischen Physiologie, Psychologie, Pathologie, Therapie und zu einer daseinsgemässen Präventiv-Medizin in der modernen Industrie-Gesellschaft, « Les grandes lignes de la médecine et de la psychologie. Eléments pour une physiologie, psychologie, pathologie, thérapie phénoménologique et pour une médecine préventive conforme au Dasein dans la société industrielle moderne » Plusieurs de ses livres, dont l’énorme Grundriss, ont été traduits en anglais[1]. Et curieusement deux d’entre eux, Introduction à la médecine psychosomatique, traduit en 1959, et Un psychiatre en Inde, traduit en 1971, le furent avant la traduction en français des œuvres principales de Binswanger, dont seul Le Rêve et l’Existence, avec la fameuse introduction de M. Foucault, avait paru en 1954.

En ce qui concerne le livre paru en 1959 sous le titre Indienfahrt eines Psychiaters, « Le voyage en Inde d’un psychiatre »[2], il a connu en Allemagne quatre éditions, la dernière ayant paru en 1987, et il fut traduit en anglais en 1965. On voit qu’il a donc eu un certain retentissement. Rappelons que Boss a déjà en 1959 publié plusieurs livres dont Le rêve et son interprétation (1953), introduction à la médecine psychosomatique (1954) et Daseinsanalyse et Psychanalyse (1957), livre que nous avons traduit en français dans le cadre du séminaire de Daseinsanalyse en 2007.

          Dans ce livre Boss entreprend de relater les expériences qu’il fit en Inde au cours de deux voyages, soit un premier séjour de 5 mois en 1956 en Inde suivi d’un séjour de cinq semaines en Indonésie, et un second séjour de trois mois en Inde en 1958, à la suite duquel il rédigea ce livre paru en 1959. Il précise d’emblée dans l’introduction qu’il s’est essentiellement agi pour lui de relater les expériences relatives à la question de la médecine psychique qu’il a eues en Inde et en Indonésie. Cela ne l’empêche cependant pas de faire également place dans ce livre au récit des rencontres qu’il y a faites de plusieurs sages, ceux que l’on nomme en Inde des gurus, d’un mot qui a la même racine que le latin gravis, qui a du poids, et qui désigne un homme d’expérience, noble et imposant, un maître spirituel[3]. Il faut en effet d’emblée souligner qu’il ne s’agit pas là d’un voyage improvisé, car Medard Boss explique qu’il était depuis plusieurs années en contact épistolaire avec des amis indiens et indonésiens et il nous apprend qu’il avait même commencé à étudier l’hindi, la langue nationale de l’Inde, bien avant son départ et qu’il s’était mis depuis plusieurs années à étudier les textes philosophiques et religieux de la tradition indienne.

Medard Boss n’ignorait pas en effet que l’Inde a une tradition philosophique comparable à la tradition occidentale et même plus ancienne qu’elle, et qu’elle a connu tous les systèmes de pensée qu’on trouve dans la tradition occidentale, du matérialisme à l’idéalisme, qu’elle contient des études de grammaire, de logique et de sciences de la nature qui peuvent rivaliser avec celles qui ont été développées en Occident et qu’elles les ont même souvent précédées. Il n’hésite pas même à affirmer que la science de l’homme que possède l’Inde est supérieure à notre psychologie et psychopathologie occidentales. Mais s’il a finalement décidé d’aller en Inde, c’est que l’étude livresque de la pensée indienne ne lui a pas semblé suffisante, surtout, explique-t-il, parce les écrits indiens ne lui étaient accessibles qu’en traduction, et que ces traductions, adaptées à l’univers philosophique occidental, n’étaient pas exemptes de préjugés, car elles admettaient a priori la supériorité des vues occidentales, la pensée indienne y étant souvent jugée comme, je cite, « erronée et rétrograde ». Venir en Inde s’est donc imposé à lui comme une nécessité incontournable, afin d’avoir un commerce direct avec les sages de ce pays, ce qui s’avérait d’autant plus indispensable que la tradition orale a toujours été plus importante en inde que la tradition écrite.

C’est ce qui lui a été permis en 1956 et 1958 grâce à deux invitations à enseigner dans des facultés de médecine en Inde et en Indonésie. Il faut souligner que l’Inde ne s’était délivrée du joug colonial britannique que quelques années auparavant, l’indépendance ayant été acquise en août 1947. En 1956, l’Inde compte 400 millions d’habitants (ils sont aujourd’hui plus de 60 ans après 1 milliard 370 millions) et déjà Boss souligne que la population de l’Inde augmente de manière inquiétante. Il a eu l’occasion pendant ces deux voyages où il a parcouru l’Inde du Nord au Sud de voir que des millions d’êtres humains y vivent dans des conditions très précaires. II faudrait rappeler à cet égard que la colonisation britannique a dévasté un pays qui était prospère avant son début en 1750 et qu’elle est à l’origine d’au moins deux grandes famines, en 1770 au Bengale (15 millions de morts dont le tiers de la population du Bengale d’alors) et en 1943 à nouveau au Bengale (au moins quatre millions de morts), deux holocaustes oubliés par l’opinion publique d’aujourd’hui[4]. J’étais personnellement en Inde en 1972 lors de la dernière grande famine qui a frappé un pays qui n’avait pas encore, 25 ans après l’indépendance, put remédier aux méfaits de la colonisation et je n’oublierai jamais les scènes insoutenables que j’y ai vues de dizaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants émaciés et mourants dans les rues de Bombay. Boss note qu’à la fin des années 1950 l’Inde est en train de se développer, qu’elle adopte la technique occidentale, et que les élites urbaines du pays ont tendance à rejeter dans leurs discours publics, mais non dans leurs pratiques privées, la tradition de spiritualité qui a marqué l’histoire de l’Inde depuis son début.

Boss en conclut que, tout comme l’homme occidental de cette époque, mais bien plus encore que lui, l’Indien vit dans le déchirement entre la grande tradition spirituelle dont il a hérité et le développement de la technique moderne. Il s’étonne en effet de voir que de grands hommes de science indiens peuvent être aussi très religieux. Il donne l’exemple d’un physicien qui s’adonne à l’astrologie, très développée en Inde, et ce dernier lui explique que si les sciences permettent de calculer les choses, elles ne sont pourtant nullement en mesure de rendre compte de leur signification essentielle. Cela rappelle à Boss la découverte de l’ambivalence des sentiments par Freud et la reprise par Jung de l’identité des contraires qu’on trouve chez Héraclite, ce qui montre bien que la réalité n’est pas entièrement calculable et recèle quantité de contradictions. Boss en conclut que la grande majorité du peuple indien demeure enracinée dans un puissant sentiment religieux. Il note que l’idéal prôné par Gandhi d’une vie simple et non violente permettant seule le développement spirituel est partagé par un grand nombre d’Indiens. Et il a remarqué, ce qui est en grande partie toujours vrai aujourd’hui encore, que les visages heureux y sont bien plus nombreux qu’en Occident en dépit des conditions précaires de vie de la grande majorité des Indiens.

Boss entreprend ensuite de décrire l’organisation des études de médecine dans la ville de Lucknow, ville multiculturelle très développée et capitale de l’Uttar Pradesh, l’état le plus peuplé de l’Inde, situé en Inde du Nord, et il note que l’organisation en est britannique et que le niveau des étudiants y est comparable à celui des étudiants européens. Un missionnaire méthodiste américain y a en outre fondé juste avant l’indépendance une excellente clinique psychiatrique. Boss note que dans son désir d’indépendance, l’Inde veut imposer l’hindi comme langue scientifique à la place de l’anglais et qu’elle veut faire sa place à l’antique tradition médicale de l’Inde, l’Ayurveda, mot qui signifie science (veda) de la vie (ayur) (de ayus vie), dont les origines remontent à la période védique, au IIe millénaire av. JC. Boss a pu s’initier à cette médecine holistique qui ne connaît aucune séparation entre âme et corps lors d’un séjour dans un ashram (ermitage)[5] au Gujerat, dans le nord ouest de l’Inde. On lui a parlé de l’œuvre d’un chirurgien ayant sans doute vécu en 500 av. JC, Sushruta, qui avait répertorié plus de 1500 maladies différentes, identifié les bactéries responsables des maladies infectieuses, adopté la méthode antiseptique par fumigation des plaies, fait de multiples opérations chirurgicales, dont certaines de chirurgie plastique, à l’aide d’une multitude d’instruments chirurgicaux et même, contre l’avis des brahmanes, pratiqué la dissection de cadavres. On lui montra aussi l’Encyclopédie médicale qui fut rédigée au 1er siècle de notre ère par un autre médecin, Charaka, dans laquelle Boss découvre que le parallélisme entre le psychique et le physique y est considéré comme évident, certaines maladies étant attribuées à des causes psychiques telles que la colère autant qu’à des causes physiques. Ces deux traités fondamentaux de l’Ayurveda, transmis par voie orale, n’ont été compilés qu’au début de l’ère chrétienne. Il ne faut pourtant pas sous-estimer l’importance de la tradition orale, qui est en réalité plus fiable que la tradition écrite, laissée à la responsabilité de copieurs peu compétents et souvent négligents. La récitation des textes de la tradition védique a été pratiquée pendant des millénaires et elle l’est encore aujourd’hui dans certaines écoles brahmaniques. Onze modes différents de récitation ont été codifiés, ce qui permet la conservation par la seule mémoire de textes aussi longs que le Rig-Veda qui compte plus de 150 000 mots[6]. Boss explique qu’on cherche aujourd’hui à faire revivre cette antique médecine, dont la pratique fut strictement interdite pendant toute la période de la colonisation britannique, mais qu’il y a aussi de nombreux instituts où l’on poursuit des recherches scientifiques semblables à celles qui sont menées en Occident, et qu’elles comportent des expérimentations sur des animaux, chose étrange si l’on connaît la tradition trimillénaire de l’Inde qui enjoint la non violence à l’égard de tous les êtres vivants et non pas seulement de l’homme.

Boss sait bien en effet qu’il a été invité à venir enseigner en Inde afin de familiariser professeurs et étudiants aux méthodes et aux idées occidentales. Mais en réalité, c’est, de son propre aveu, lui qui a le plus appris de son séjour en Inde, tout particulièrement au sujet d’un préjugé très courant en Occident selon lequel la psychè occidentale et la psychè orientale différent foncièrement. Or Boss fait justement en Inde l’expérience d’une identité profonde de la nature de l’homme à l’Est comme à l’Ouest. Il explique que parmi les patients très divers et appartenant à des couches très différentes de la société indienne qu’il a eu à traiter, il n’a jamais pu déceler aucun phénomène qu’il n’aurait pas rencontré chez un Occidental et il donne plusieurs exemples de troubles psychiques identiques chez les Indiens qu’il traite et ses patients suisses. Il souligne que les psychoses, en particulier la démence maniaco-dépressive et la schizophrénie apparaissent en Orient avec la même fréquence qu’en Occident.

Il n’en reconnaît cependant pas moins l’influence du milieu naturel et culturel sur les troubles psychiques et remarque en particulier que la répression des pulsions n’a pas cours en Inde, contrairement à ce qui se passe dans l’Occident chrétien, où la part corporelle de l’homme est considérée comme le résultat du péché originel. Après avoir expliqué que le système des castes, dont il faut rappeler qu’il a été aboli par la constitution de 1947, justement rédigée par un « intouchable », Ambedkar, à la demande de Nehru[7], peut avoir, je cite, « une signification positive dans l’hygiène psychique », du fait qu’elle assigne à chacun sa place[8], il souligne l’importance de la sécurité que procure l’existence en Inde de la « joint-family », cette famille élargie qui peut compter plus de vingt membres, parents, fils, filles, frères, sœurs, cousins, oncles et tantes et où l’autorité est strictement hiérarchisée, ce qui se reflète dans le vocabulaire de la parenté, qui ne comprend pas moins de 52 dénominations diverses pour exprimer les différents rapports entre les membres d’une même famille. C’est la vie au sein d’une telle structure familiale qui ne permet pas le développement de l’égocentrisme et du narcissisme, et ce sont les soins constants apportés par leurs mères aux petits enfants qui, selon Boss, empêchent le développement de tendances agressives, les enfants étant élevés dans une atmosphère chaude et tolérante, comme j’ai pu moi-même souvent l’observer lors de mes séjours en Inde. C’est ce qui, selon Boss, permet de comprendre que la sensibilité de l’Indien soit aussi ouverte et compréhensive. Bien que la curiosité sexuelle ne soit nullement interdite dans l’enfance et la prime adolescence, comme elle l’était encore dans les années 1950 en Occident, les coutumes exigent que les mariages soient décidés par les parents en fonction de leur statut social, ce qui ne produit cependant pas plus de mariages malheureux qu’en Occident et permet, car on s’y marie jeune, d’éviter les tensions sexuelles si fréquentes chez les jeunes gens et jeunes filles, lesquelles peuvent conduire à la psychose, à la perversité et même au crime, comme c’est le cas en Occident.

Il ne s’agit cependant pas pour Boss de brosser un tableau idyllique de la société indienne traditionnelle et il reconnaît que, je cite (p. 90) « cette même structure sociale de l’Inde fournit à d’autres troubles et infirmités psychiques un terrain favorable ». La recherche de la délivrance par le détachement de tout ce qui constitue une vie quotidienne équilibrée peut en effet conduire à cette fuite du monde qui caractérise beaucoup de sādhus errants (sādhu signifie littéralement « homme de bien ») qui ont renoncé à la société pour se consacrer exclusivement à la recherche de la moksha[9], la libération de l'illusion (māyā), de l'arrêt du cycle des renaissances et de la dissolution dans le divin, la fusion avec la conscience cosmique. De plus l’immaturité de parents trop jeunes peut nuire au développement de l’enfant, lequel dans l’Inde moderne, dont il faudrait rappeler, ce que ne fait pas Boss, qu’elle a été profondément marquée par les règles de conduites de l’Angleterre de l’époque victorienne, se voit soumis après l’âge de 5 ans à une pruderie érotique extrême et contraint de se conformer à des règles strictes de comportement, ce qui peut engendrer de graves troubles sexuels, tels que l’impuissance et la stérilité ou encore le développement de l’homosexualité. Boss note cependant que la structure familiale de l’Inde moderne rappelle « très exactement » les conditions sociales de la bourgeoisie européenne au tournant du XIXe siècle, et il invoque à ce propos les analyses qu’a données (je cite) « le génial observateur qu’était Freud » (p. 99) de la vie viennoise. On peut même dire que l’hostilité manifestée dans l’Inde moderne à tout ce qui ressort au corps dépasse celle des tabous moraux de la société européenne d’il y a 5o ans. Il faut cependant reconnaître que cela n’entraîne pas en réalité une multiplication des cas de névroses, car il faut noter l’immense différence entre l’éducation de la première enfance en Inde et en Occident, les patients indiens que traite Boss ayant toujours joui dans leur petite enfance d’une atmosphère très libérale permettant la libre affirmation des instincts. En outre la pruderie imposée après l’âge de cinq ans ne concerne que la caste supérieure des brahmanes, ce qui fait que l’on observe une diminution des troubles psychonévrotiques dans les castes inférieures et les sans castes.

Medard Boss en conclut que son travail de psychothérapeute au cours de ses séjours en inde l’a amené à confirmer, je cite, « les assertions géniales de Freud » concernant les complexes de castration et d’Œdipe (p. 107), assertion assez étonnante dans la bouche de celui qui a si vivement mis en question les fondements même de la psychanalyse freudienne dans Daseinsanalyse et Psychanalyse, le livre qu’il a publié, entre ses deux séjours en Inde, en 1957. On peut aussi s’étonner de le voir défendre l’idée d’une universalité du complexe d’Œdipe, laquelle a été mise en question par l’ethnopsychiatrie, et déjà par Malinowski (1884-1942) dans un livre publié en 1927[10], où il montre que pour les indigènes des îles Trobriand, un archipel de la Mélanésie, la paternité est inconnue, car pour eux un enfant ne naît pas de l'union entre un homme et une femme, mais réincarne l'esprit d'un mort, de sorte qu’entre un père et ses enfants, il n’y a aucun lien de sang, son rôle consistant à à pourvoir aux nécessités économiques de la famille et à prendre soin des enfants, rôle dans lequel il est relayé par l'oncle maternel. On peut en effet se demander ce qu’il en est à cet égard dans la joint-family indienne.

Mais pour Boss, les différences constatées entre le mode de vie des Indiens et celui des Occidentaux sont d’importance secondaire et je cite (p. 109) « ne réfutent nullement, mais confirment la similitude essentielle de tous les êtres humains ». Il est vrai que l’Inde de cette époque étant amenée à adopter le mode de civilisation industrielle de l’Occident connaît des changements profonds de civilisation et des mutations sociales, ce qui peut amener les Indiens à se réfugier dans la névrose, de sorte qu’il est possible, selon Boss, de prédire que les troubles psychiques vont se multiplier en Inde avec rapidité et prendre des formes très similaires à ceux que l’on rencontre en Occident, preuve que « les hommes sont frères », que « leur constitution essentielle est identique » et que « Ouest et Est sont capables de se comprendre pleinement et directement » (p. 213).

Medard Boss explique qu’il n’est pas venu en Inde uniquement pour y travailler avec des médecins et des thérapeutes, mais aussi pour approfondir sa connaissance de l’homme, ce qui exige de s’engager dans une quête proprement philosophique et donc de rencontrer des penseurs et des sages. Tout le reste du livre est consacré au récit des rencontres qu’il lui a été donné de faire avec plusieurs d’entre eux. Le premier qui le reçoit, après bien des hésitations, est un professeur qui enseigne l’Ayurveda à Vārānasî (Bénarès), la ville la plus sacrée de l’Inde et l’une des plus anciennes du monde. Ce dernier insiste sur la nécessité pour l’être humain de ne pas se centrer sur son propre moi, cette mégalomanie égocentrique étant ce qui gouverne essentiellement le matérialisme de l’homme occidental, alors qu’il faut au contraire comprendre que tout moi humain est englobé dans ce tout que les Indiens nomment Brahma, nom pour eux de la réalité ultime. A la fin de l’entretien, il lui expliqua que c’est pour fuir les affairistes superficiels qu’il met à l’épreuve le sérieux de ses visiteurs, ne les recevant qu’après les avoir éconduits deux ou trois fois. C’est la même épreuve que Boss va de nouveau subir lorsqu’il essaie de rencontrer le sage que ses conseillers lui ont présenté comme celui qu’ils admiraient le plus et qui se refuse à plusieurs reprises à le recevoir, avant, après plusieurs tentatives vaines de le rencontrer de la part de Boss, de finalement l’inviter à le rejoindre pour deux ou trois semaines dans son ermitage situé loin de la ville sur un plateau désert. Boss passe tout ce temps auprès de ce sage qui enseigne à ses disciples des deux sexes réunis autour de lui et il explique que son esprit critique se révolta pendant plusieurs jours en voyant la dévotion que ces derniers portaient à leur maître, mais il finit par reconnaître que ce dernier était dépourvu de tout égoïsme et possédait une force de rayonnement qui faisait taire toute volonté égocentrique. Ce dernier reconnaît d’ailleurs à la fin des entretiens qu’il a eus avec Boss qu’il n’a pu répondre à toutes ses questions et lui conseille d’aller voir un érudit qui l’avait d’abord éconduit, mais qui a finalement accepté de le recevoir.

Cet érudit se révèle connaître fort bien la philosophie occidentale et le christianisme, auxquels il oppose les avancées de la pensée et de la science indiennes (p. 139). Il existe en effet pour lui une hétérogénéité entre la psychologie occidentale et la science indienne de l’homme, que révèle fort bien, je cite, « la position philosophique de Descartes qui trahit un besoin de sécurité et d’appropriation conceptuelle du monde » (p. 141). Un tel besoin se retrouve cependant aussi en Inde, car les sages de l’Inde n’auraient pas pendant des millénaires prêché le renoncement à l’égocentrisme « si l’égoïsme n’était pas, en Inde aussi, la source de tous les maux » (p. 150). Les six systèmes philosophiques que connaît l’Inde visent tous à s’en affranchir et ils se regardent tous comme des étapes sur la voie de la vérité ou comme des points de vue différents permettant d’en apercevoir ses divers aspects. Le terme grec de « philosophie » définie comme « amour de la sagesse » n’a en effet pas d’équivalent strict en Inde, les écoles philosophiques se nommant des darsana, des points de vue, mot qui vient de la racine drs qui veut dire voir. Car pour les Indiens, il n’est pas possible à l’homme de posséder la vérité, il ne peut que s’efforcer d’acquérir une attitude intérieure lui permettant de s’en approcher, ce qui ne peut se réaliser uniquement par l’étude livresque.

Les idées occidentales d’avoir et de possession ne peuvent en effet pas s’exprimer dans la langue indienne, sanskrit ancien et hindi moderne, langues qui utilisent la voix moyenne, où le sujet est au datif, alors que les langues occidentales utilisent de préférence les voies actives ou passives qui reposent sur la distinction du nominatif et de l’accusatif et donc sur l’opposition sujet-objet. C’est ce que la langue hindi montre bien dans laquelle par exemple on ne dit pas « j’ai un livre », mais « le livre est près de moi ou dans mon voisinage » (mere pas kitab hai), le moi ne se considérant pas comme un sujet possédant (p. 154-155). C’est d’ailleurs cette voix moyenne que Boss utilisera pour parler du rêve dans le deuxième livre qu’il consacrera à ce phénomène en 1975 sous le titre : Es träumt mir vergangene Nacht, « Il m’est venu en rêve la nuit dernière ». Je rappelle que Boss y montrait qu’il faut comprendre le « il » impersonnel de « il m'est venu en rêve » comme renvoyant à l'avènement même de l'être en tant que tel, par rapport auquel, dans la veille tout comme dans le rêve, le « sujet » n'occupe jamais que la place, au « datif », de celui qui a à répondre d'un don. Pour Boss, l’existence humaine est comparable à cette « clairière », dont parle Heidegger, constamment gagnée sur le latent, et au sein de laquelle seule ce qui est manifeste peut nous apparaître et où prennent place pour nous le réel et l’irréel, l’expérience effective comme l’expérience onirique.

         Or cela est en consonance avec ce que lui apprend l’érudit de Vārānasî au cours d’un long dialogue qui couvre plus de soixante pages, soit plus d’un quart du livre entier. Il lui explique en effet que ce que l’être humain découvre dans cet exercice à la fois spirituel et corporel de concentration qu’est la méditation, dhyāna, en sanskrit[11], c’est que son être est d’essence lumineuse et qu’il a ainsi part à ce que les Indiens nomment brahman, mot qui vient de la racine braha, qui signifie « grandir », « embrasser ce qui croit », et qui constitue la réalité ultime pour les Indiens. Il ne faut en effet pas le traduire, comme le font la plupart des indianistes européens par « esprit universel », « soi suprême » ou « unité du tout », car toutes ces traductions impliquent une dualité entre esprit et corps, soi suprême et soi individuel, tout et parties. Il faut le comprendre non comme un substantif désignant une entité, mais comme cet événement qui fait accéder à l’être et que la pensée conceptuelle ne peut saisir. Le sage de Vārānasi insiste en effet sur ce qui fait la spécificité de la langue sanskrite, à savoir que tous les substantifs y expriment, je cite, « en première ligne une idée verbale », « l’événement, l’apparition de l’existence demeurant toujours le point de départ et le contenu principal du substantif » (p. 187). C’est ce qui explique que les penseurs de l’Inde n’ont jamais tenté de définir conceptuellement brahman, et que l’on ne puisse le circonscrire que par la voie, très semblable à celle de la théologie négative, du neti-neti, disant donc qu’il n’est ni ceci ni cela. (p. 159).

          Si ce que les Indiens nomment brahman n’est autre que cette pure lumière qui se concrétise et se disperse en une multiplicité de formes mobiles et d’apparences, auxquelles participe l’être humain, on ne peut donc pas assigner à ce dernier la place d’un sujet séparé. Il est vrai que la pensée védique nomme l’être humain  ātman, d’un mot qui, comme le grec psyché, signifie « souffle »[12], mais qu’il ne faut pas traduire, comme c’est à nouveau souvent le cas en Europe, par « âme », mot qui entérine la scission entre esprit et corps, ou par « soi » au sens d’un « soi-même » qui en ferait une entité séparée (p. 162). Ce dont le penseur indien fait l’expérience dans la méditation, qui est l’ouverture à ce qui est véritablement, c’est que l’ātman qu’il est n’est que le souffle, la respiration, du brahman, et cette expérience est ce que l’on nomme en sanskrit samādhi, qui n’est en rien une opération intellectuelle, mais une manière d’aller et d’obtenir (adhi) l’union (sam) avec la lumière du brahman, quittant ainsi l’illusion d’être un « moi », un sujet séparé, le mot māyā, illusion, qui vient de la racine matr, que l’on retrouve dans le mot « mètre », signifiant justement délimiter, morceler (p. 166).

          Ce que récuse donc avec véhémence le sage de Vārānasi, ce sont toutes les appellations par lesquelles on désigne en Occident la pensée indienne, telles que « monisme », comme on l’a déjà vu, mais aussi « idéalisme », qui implique la « constitution », mot cher à Husserl, du monde à partir de représentations subjectives, « monothéisme » si l’on se réfère à Brahman, ou « polythéisme », si on ne prend en compte que ses multiples s (le mot sanskrit avātara signifie « descente »). On ne peut pas davantage parler de « psychologie », terme qui présuppose la séparation de l’esprit et de la matière, la seule science à cultiver étant « une science du monde qui s’enquiert avant tout de l’essence originelle commune à l’homme et à son monde » (p. 171). On pense ici à ce que dit Merleau-Ponty dans ses derniers cours, lorsqu’il met en question la figure traditionnelle de la philosophie comme « pensée de surplomb[13], et qu’il explique que c’est lorsqu’on veut donner une réalité positive à cet écart qui nous sépare et nous relie à la fois aux choses que naît ce qu’il nomme cette « mythologie bâtarde de la psychè »[14] dont nous ne sortirons que lorsque nous découvrirons que le domaine inaliénable de la pensée, c’est ce rapport d’Ineinander, d’implication mutuelle des chose du soi et des choses, de moi et d’autrui, du visible et de l’invisible[15] dans lequel le philosophe aussi, à l’inverse du kosmos theoros dont parle Husserl[16], est inextricablement pris.

On comprend alors que Boss soit amené à conclure son livre en soulignant la différence qu’il y a entre la pensée indienne et la philosophie occidentale. La pensée indienne se centre sur deux problèmes : celui de la souffrance humaine et la recherche visant à s’en délivrer, et au contraire de la philosophie occidentale, qui s’est donnée pour but l’atteinte de la vérité et a ainsi mis la théorie bien au-dessus de la pratique, elle ne considère l’activité proprement mentale que comme un moyen possible de l’atteinte de la délivrance. Elle ignore donc ce que nous nommons psychè, entendant par là le mental, ce que l’on nomme en sanskrit ātman ayant directement part à cette réalité ultime qu’elle nomme brahman, de sorte que, explique Boss, il vaudrait mieux parler à son propos de « thérapeutiques de l’illumination » (p. 236). Boss n’en considère pas moins qu’entre ces thérapies indiennes et ce que l’Occident nomme psychothérapie, il y a des analogies. Et il n’hésite pas ici à invoquer Freud et la fameuse formule résumant le principe de la thérapeutique qu’il promeut, à savoir que « là où était le ça, sera le moi », car il s’agit pour lui aussi de faire apparaître au patient la nature profonde de son être.

Mais la critique de la psychanalyse jungienne et freudienne ne tarde pas à se faire jour immédiatement après, Boss affirmant alors que la psychothérapie occidentale n’est pas apte à permettre à l’humain de se sentir appartenir à ce que les Indiens nomment brahman, l’ultime réalité, car elle conduit l’être humain à se considérer comme une psychè conçue comme un système de fonctions et de structures commandées par des archétypes et s’appuyant sur un « inconscient » anonyme. Il ne voit dans les moyens employés dans les conceptions psychologiques propres à la psychothérapie occidentale que d’ « irréelles abstractions » (p. 240) et déclare que, comparée à la thérapeutique indienne, « la meilleure psychanalyse occidentale ne dépasse pas le niveau d’une propédeutique élémentaire », la guérison ainsi opérée n’étant jamais que partielle (ibid.), car elle ne permet pas ce renoncement à tout attachement personnel aux choses du monde, à ce vairagya, ce surmontement (gya) de toute hostilité (vaira) auquel atteignent les sages de l’Inde. Faudrait-il donc, se demande Boss, transformer totalement l’activité psychothérapique qui est la sienne ? Il est intéressant de voir que ce n’est pas ce que lui conseille le sage qu’il a rencontré au Cachemire. Car la voie qui mène en Inde à l’expérience directe de la réalité, à l’illumination (samādhi) par la méditation n’est nullement une régression à un stade pré-personnel, mais au contraire l’accès à un point de vue supra-personnel, ce qui exige une longue préparation auquel le psychanalyste devrait lui-même d’abord se soumettre.

Il s’agira donc pour Boss de retour en Occident de ne rien changer à son comportement vis-à-vis de ses patients, mais de se mettre en mesure d’échapper à la soumission arbitraire à telle ou telle technique de psychothérapie ou à telle ou telle théorie psychologique en refusant de les ériger en vérité suprême. Boss affirme avoir compris que ce qui constitue en matière de psychothérapie l’exigence primordiale, c’est « le changement même de l’être du thérapeute » (p. 245). Il ne suffit donc pas pour être un thérapeute de posséder des connaissances psychologiques et de maîtriser les techniques psychothérapeutiques, il faut surtout que le thérapeute ait lui-même compris qu’il partage avec son patient la même essence qui leur est commune, car c’est là seulement ce qui lui permettra d’atteindre à une disponibilité sans limites.

Bien qu’on ne trouve dans ce livre nulle référence à la Daseinsanalyse ou à Heidegger, on ne peut s’empêcher de penser ici à ce que Heidegger nommait dans Etre et temps « sollicitude devançante », dont Boss nous dit dans les Zollikonner Seminare qu’il y avait fait allusion dans la première lettre qu’il lui avait adressée afin d’attirer son attention sur le fait que, sous ce titre, on trouvait l'exacte description du rapport idéal du psychanalyste à l'égard de ses patients en analyse. C’est dans cette sollicitude qui consiste à laisser être l’autre, c’est-à-dire à le laisser déployer par lui-même son propre pouvoir-être, que Heidegger voit la forme la plus haute de la relation à autrui. Car si la maladie en général — et la maladie dite « mentale » en particulier — consiste essentiellement en une perturbation de l’équilibre existentiel et de la liberté, il ne peut s’agir, dans la relation thérapeutique au sens propre, que de mettre en œuvre une modalité de la relation qui anticipe sur la liberté qui doit être recouvrée par le malade. C’est donc en témoignant de sa propre liberté, et en se conduisant non pas seulement comme un professionnel, mais aussi et en même temps comme un être humain, que le médecin peut rendre l’autre, le malade, à la sienne. C’est ici que l’enseignement que Boss a reçu en Inde rejoint celui qu’il a trouvé dans la Daseinsanalyse heideggérienne.



Psychoanalysis and Daseinsanalysis (English translation, 1963)

Existential Foundations of Medicine and Psychology (English translation, 1979)

The Meaning and Content of Sexual Perversions (English Translation, 1949)

I Dreamt Last Night... S. Conway, Trans. New York: Gardner Press, 1977.

The Analysis of Dreams (English Translation, 1958)

A Psychiatrist Discovers India (English translation, 1965)

Cf. M. Boss, Un psychiatre en Inde, trad . de Rémi Laureillard, Paris, Fayard, coll. L’expérience psychique, 1971

Ce terme, on le sait, a pris un sens péjoratif, celui de manipulateur ou de dirigeant de secte, à partir des années 1970 et de la vague hippie qui a envahi l’Inde. Boss lui-même ne l’utilise pas, et parle de « sages » ou de « saints » pour désigner les personnes avec lesquelles il a dialogué.

Winston Churchill, qui a en 1943 totalement privé les Bengalis de leurs stocks de nourriture au profit des soldats britanniques combattant les Japonais, a par la suite déclaré : «Je déteste les Indiens. Ils sont un peuple bestial qui a une religion bestiale. La famine était leur propre faute car ils se reproduisent comme des lapins». C’est dans un livre paru à Bombay en 1944 de l’historien indien Narayan G. Jog, Churchill's Blind Spot: India, (Inde : La tâche aveugle de Churchill) que le mot « holocauste » a été utilisé pour la première fois en référence à un événement ayant eu lieu pendant la deuxième guerre mondiale. Un des plus grands films du réalisateur bengali Satyajit Ray « Distant Thunder », « Tonnerres Lointains » qui a obtenu l’Ours d’Or au festival de Berlin en 1973 a été consacré à ce terrible événement. Une journaliste scientifique indienne, Madhusree Mukerjee, a publié en 2010 un livre paru à New York traitant du même sujet, Churchill's Secret War. The British Empire and the ravaging of India during World War II, qui a été traduit en français sous le titre Le crime du Bengale. La part d’ombre de Winston Churchill, Paris, Ed. Les Nuits Rouges, 2015.

Le mot vient de sram, effort, l’ashram étant le lieu où l’on s’efforce au renoncement.

Cf. Pierre-Sylvain Filliozat, Le sanskrit, Paris, PUF, Que sais-je ? 1992 (2010), p. 14 sq.

Bhimrao Ramji Ambedkar (1891-1956) est originaire du groupe des intouchables  qui a donné son nom à l'État du Maharashtra. Le mahârâja de Baroda remarque son esprit brillant et paie ses études. Il intègre ainsi un College de Bombay en 1912, puis obtient un doctorat d'économie à la Columbia University, aux États-Unis, et entre ensuite à la London School of Economics. En 1947, Nehru le nomme Ministre de la Justice dans le premier gouvernement de l'Inde indépendante et le charge de rédiger la constitution du pays. Il y inclut la prohibition de toutes formes de discrimination tant envers les hors-castes qu'envers les femmes et la liberté de religion. Il instaure un système destiné à permettre aux personnes des classes basses de faire des études et de trouver un travail en rapport avec leurs qualifications. Mais il finit par reconnaître que l'intouchabilité, étant liée au système des castes, est consubstantielle à l'hindouisme, et voit alors dans la conversion des intouchables au bouddhisme la meilleure solution. C’est ainsi que le 14octobre1956, peu avant son décès, il organise la première conversion en masse de ses compagnons hors-caste et se convertit lui-même au bouddhisme en présence de quelque 380 000 intouchables rassemblés à Nagpur.

Précisons que le mot « caste » est d’origine portugaise (du latin castus, sans mélange, d’où vient « chaste » en français) et a servi aux premiers colonisateurs de l’Inde à désigner ce que les textes indiens anciens nomment varna, mot qui signifie « couleur », les couleurs servant de symboles aux différentes castes (blanc pour les Brahmanes, rouge pour les guerriers, les Kshatriyas, jaune pour les Vaishyas, les producteurs, et noir pour les Shudras, les serviteurs). Ce qui procure en réalité une sécurité psychique aux Indiens, c’est l’existence de plus de 4500 jātis (mot signifiant « naissance » ou « espèce ») qui sont semblables aux corporations de métiers que l’Europe a connu jusqu’au XVIIIe siècle..

Mot qui vient de la racine muc, qui signifie libérer. Voir également Mukti, salut, délivrance.

Cf. Bronisław Kasper Malinowski, La paternité dans la psychologie primitive, Paris, Allia, 2016.

Dhyāna vient de la racine dhi, vision, imagination. Le mot correspondant en pāli, la langue du Bouddha, est jhāna, qui donnera chan en chinois, et zen en japonais.

Voir le verbe allemand atmen, respirer, qui est directement issu de la même racine sanskrite.

Merleau-Ponty, Note de cours, 1959-1961 Paris, Gallimard, 1996, p. 88.

Ibid., p. 362.

Ibid., p. 366.

Ibid., p. 368.